Nicole Janis Qavavauq-Bibeau est l’une des principales porteuses du Projet Iskweu, une initiative du Foyer pour femmes autochtones de Montréal dédiée aux proches des femmes et filles autochtones disparues ou assassinées. En début 2021, suite à son appel, ASFQ a aménagé les locaux du Projet, un nouvel espace d’accueil calme et chaleureux contribuant au mieux-être des communautés autochtones.  

En mémoire de son père, elle préfère qu’on l’appelle Janis. 

Au printemps 2020, Janis est devenue coordonnatrice à la recherche pour le Projet Iskweu. Son mandat : recueillir des données sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Au Québec, une femme autochtone aurait sept fois plus de chance de se faire tuer qu’une femme allochtone. Le Projet, démarré en 2017, a pour objectif de venir en aide aux familles et aux proches de ces femmes disparues.

Janis rêvait de donner accès aux bénéficiaires d’Iskweu à un lieu accueillant favorisant le partage et l’écoute. À sa demande, ASFQ a conçu un espace sensible et intime.  L’intégration d’une œuvre d’art autochtone est aussi prévue. Celle-ci représente la robe rouge : le symbole associé à la cause des femmes autochtones disparues ou assassinées et, également, élément du logo du Projet Iskweu. Rapidement, le nouveau local a été aménagé grâce à des corvées communautaires ; ASFQ avait mobilisé une équipe de professionnels bénévole constituée principalement de femmes – ce qui l’a par ailleurs agréablement surprise. Pour Janis, le résultat final est splendide et dépasse largement ses attentes.

Je suis si heureuse de voir que de si bonnes personnes existent! Je remercie l’équipe d’ASFQ de tout mon cœur. -Janis

Derrière chaque projet, une histoire

Pour comprendre l’importance que revêt le Projet Iskweu pour Janis, il importe de comprendre son parcours de vie, ses combats et ses espoirs, qu’elle partage avec générosité et sans retenue. Nous avons trouvé en elle une femme magnifique. Sa force et sa sympathie sont la preuve que les fleurs poussent sur la neige. 

Janis est une activiste féministe Inuit. Elle travaille en tant qu’intervenante dans le secteur  communautaire depuis deux ans afin de soutenir les femmes autochtones dans leurs difficultés. Auparavant, elle était préposée aux bénéficiaires dans un CHSLD et étudiante en journalisme et communication, mais à la suite de blessures au dos et d’un épuisement dû au temps supplémentaire exigé, elle décide de quitter son emploi. « J’ai fait les cadets, alors j’ai pensé à m’engager dans les Forces, mais vu l’état de mon dos c’était impossible ». Espérant trouver un travail qui lui convient, c’est son destin qui l’a trouvée: sa tante maternelle l’a informé de l’ouverture d’un poste d’intervenante au Foyer pour femmes autochtones de Montréal, où elle était déjà impliquée depuis plusieurs années. Ce foyer, tel que le propose Janis, fait un travail remarquable en offrant des services d’hébergement pour femmes autochtones et pour les aider à se reconstruire une nouvelle vie. 

Prise de conscience

Aussitôt engagée, sa vie prend un tournant. Son expérience d’intervenante est marquante. Elle prend conscience de la condition dans laquelle se trouve sa communauté. Elle fait un face à face brutal avec le racisme et les injustices envers les Premières Nations encore trop niés à travers le pays, et ce, malgré la reconnaissance récente, par le premier ministre Justin Trudeau, que le traitement qu’elles ont subi et continuent de subir constitue un génocide. Janis nous a d’ailleurs confié que, dans un passé non lointain, elle avait honte d’être Inuit. Elle ne voulait rien savoir de sa culture, ni même d’y être associée. Elle voulait être, affirme-t-elle, « une vraie Québécoise ». Elle remarque que le système d’éducation n’aidait pas puisqu’on n’enseignait rien de son histoire. À travers les femmes autochtones qu’elle écoute, elle réalise aussi pleinement que la liste des préjugés qui les enferment dans leur misère est longue. « Elles ont juste à aller à l’école comme tout le monde ». « Ce sont toutes des alcooliques ». Ces commentaires et d’autres encore plus méprisants, Janis les avait pourtant déjà beaucoup trop entendus. Cette réalité, elle l’avait elle-même vécue.

En voyant les clientes qui arrivaient au Shelter après s’être fait battre par leur conjoint, j’ai réalisé que ma mère n’était pas la seule. Ma mère était diabétique, mais je sais que c’est l’alcoolisme et les blessures subies par ses conjoints violents qui l’ont tuée un an après que ma grand-mère fut assassinée par un membre de la famille. Voir les mêmes schémas se répéter systématiquement 15 ans plus tard, ça m’a ouvert les yeux. -Janis

Janis avait 9 ans lorsque sa mère est décédée. Cette dernière avait toutefois choisi de ne pas vivre avec le père de la fillette, mais Janis se souvient que sa maman lui témoignait un grand amour chaque fois qu’elles se voyaient. Janis vivait alors seule avec son père, un criminel récidiviste. À chaque fois qu’il faisait de la prison, elle allait vivre chez un ami ou un membre de la famille. Lors du décès de sa mère, elle a été prise en charge par les services sociaux et placée dans une famille d’accueil. Elle a alors bénéficié d’un bon encadrement pour la première fois de sa vie, mais elle a perdu le contact avec sa petite sœur. Ce n’est que tout dernièrement, grâce aux médias sociaux, qu’elle se sont retrouvées ; les intervenants n’étaient pas parvenus à le faire avant.

Enfin, grâce à toutes les femmes qu’elle a rencontrées au Foyer, Janis a pu se réconcilier avec ses propres racines. Elle-même avait de profondes blessures à guérir. Elle a ainsi pris conscience que le plus important, dans un tel foyer, est d’offrir de l’écoute, simplement. Selon elle, les femmes ont besoin d’une personne de confiance qui les comprend sans jugement. 

L’envie de s’impliquer

En octobre 2020, Janis et Jessica Quijano, fondatrice d’Iskweu, a co-organisé la manifestation « Justice for Joyce ». Janis y a pris la parole pour donner une voix à toutes celles qui n’en ont pas. Sa mission : dénoncer haut et fort le racisme et la malveillance qui existent en milieu hospitalier envers les Autochtones.

En parallèle à ses recherches et son travail d’intervenante, Janis s’implique également au square Cabot ou à côté du centre The Open Door près de l’avenue du Parc. Cet engagement la passionne. L’activiste en elle déplore le manque cruel de ressources pour accompagner les hommes autochtones, dont certains ont des problèmes de violence. En soulignant que rien ne justifie la violence, elle insiste sur le fait que personne ne naît criminel et ajoute, avec justesse : « on le devient, tout comme on ne choisit pas d’avoir de mauvais parents ou de naître pauvre ». À son avis, l’éducation fait partie de la solution autant pour accompagner les pères autochtones avec leurs enfants. Selon elle, le Québec devrait s’inspirer de modèles qui fonctionnent déjà très bien à Vancouver. 

Janis croit également que l’éducation fait partie de la solution pour conscientiser la population en général à la réalité des Premières Nations et pour favoriser la réconciliation avec les peuples autochtones. À ce sujet, Janis songe à faire prochainement un podcast et mettre en ligne des vidéos éducatives qui permettront de changer les perceptions à l’égard de ces communautés.

L’espoir

Pour terminer, Janis tient à lancer ces paroles porteuses d’espoir pour toutes les femmes qu’elle continue d’aider chaque jour : 

Ce n’est pas parce qu’on a vécu une enfance vraiment difficile qu’on est obligé de poursuivre dans cette voie. Si tu crois en toi, que tu as un plan, rien ne peut t’arrêter. -Janis 

Il existe, à son avis, de bonnes personnes et, souvent, elles sont plus proches de nous que nous le supposons.

 

Entrevue de Stéphanie Roy, collaboratrice à la rédaction