La démolition a été longtemps privilégiée sur les chantiers de construction. Souvent moins onéreuse et plus rapide, cette pratique entraîne malheureusement beaucoup de gaspillage en raison des matériaux laissés à l’abandon, enfouis ou même brûlés.
Un article paru dans CONSTRUIRE (été 2020), le magazine en ligne de l’ACQ, signé Laurence Barbarese, en collaboration avec Catherine Guay.
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Saviez-vous que les débris provenant du secteur de la construction, de la rénovation et de la démolition (CRD) représentent plus du tiers du volume total des déchets au Québec1? En permettant une gestion optimale des résidus et matériaux de construction, la déconstruction constitue une solution écologique à la démolition.
Qu’est-ce que la déconstruction ?
Lorsqu’un bâtiment est déconstruit, ses composantes sont démantelées délicatement pièce par pièce et triées au fur et à mesure dans le but de les préserver et de favoriser leur réemploi. Pour réduire les impacts environnementaux d’un projet de déconstruction et viser la carboneutralité, il importe de privilégier autant que possible la réutilisation des matériaux selon une économie circulaire. En effet, sur les grands chantiers, les matériaux sont souvent vendus à des compagnies de recyclage avant d’être transformés en de nouvelles composantes et retournés sur le marché. Bien que le recyclage est préférable à l’enfouissement, le transport des matières résiduelles vers les centres de recyclage et le processus de transformation sont des sources d’émission de gaz à effet de serre (GES). Dans le cas du réemploi, les matériaux récupérés conservent leur forme d’origine. On essaye de prolonger leur cycle de vie en leur offrant une seconde vocation. Les éléments structuraux (exemple : éléments de toiture) et non structuraux (exemple : portes et cadres) d’un édifice peuvent également être désassemblés et réutilisés.
La déconstruction, ici et ailleurs
La déconstruction demeure un phénomène naissant au Québec si on compare à certaines villes en Amérique du Nord et même au Japon.
La ville de Vancouver place la déconstruction au coeur de ses priorités. Un règlement en vigueur depuis 2011 et mis à jour en 2019 précise que les maisons construites avant 1950 doivent être déconstruites de telle sorte qu’un minimum de 75 % de leurs composantes soient recyclées ou réutilisées. Cette proportion monte à 90 % pour les édifices classés maisons de caractères2. Bien que la ville de Vancouver encourage les entrepreneurs à réutiliser ou à recycler les matériaux autant que possible, ces taux ne s’appliquent pas dans le cas d’immeubles commerciaux et industriels. Dans son plan d’action visant à devenir la ville la plus verte au monde, Vancouver propose deux mesures incitatives aux demandeurs d’un permis de déconstruction volontaire, soit un rabais de 50 % sur les coûts d’élimination dans le lieu d’enfouissement et l’obtention plus rapide du permis3.
L’ACQ a contribué à la rédaction du Guide pour la planification et la gérance de chantier « La réduction à la source des matériaux et résidus de construction », en tant que membre du comité d’experts en écogestion de chantiers.
Aux États-Unis, une industrie de la déconstruction existe depuis 30 ans. Différents intervenants travaillent conjointement pour défaire les édifices étage par étage, couche par couche, et ainsi récupérer les matériaux. Il existe aussi l’organisme à but non lucratif Build Reuse créé en 1994 pour promouvoir le réemploi des matériaux de construction. La mission de cette organisation, qui compte aujourd’hui 120 membres, est de faire en sorte que les déchets de construction et de démolition deviennent de nouvelles ressources. La ville de Portland, en Oregon, a même adopté une réglementation à propos de la déconstruction des édifices patrimoniaux, qui stipule que ces derniers doivent être déconstruits plutôt que démolis. Quant au Japon, il a innové dans le domaine de la déconstruction de gratte-ciels grâce à deux techniques non conventionnelles. Ces dernières permettent d’éviter l’utilisation d’une boule de démolition ou d’explosifs et réduisent le bruit et la poussière sur les chantiers. La méthode Taisei Ecological Reproduction System est utilisée pour les immeubles de plus 100 mètres de haut. Elle consiste à démanteler la structure de l’intérieur du bâtiment, étage par étage, du haut de l’immeuble vers le bas. La méthode Kajima Cut and Take Down, quant à elle, consiste à démonter un édifice du bas vers le haut, en commençant par le rez-de-chaussée.
Et le Québec dans tout cela ?
Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant d’établir une véritable culture de la déconstruction au Québec. Il n’en demeure pas moins que des exemples de déconstruction à succès ont vu le jour ces dernières années. On a juste à penser à la déconstruction de l’ancien hippodrome de Montréal en 2018. En mettant en branle ce projet, la ville de Montréal souhaitait privilégier le démantèlement des structures de l’hippodrome plutôt qu’une démolition traditionnelle et ainsi maximiser la conservation des matériaux pour le réemploi ou le recyclage. L’objectif était de limiter les débris générés et de détourner des sites d’enfouissement au moins 85 % (en poids) des résidus4. Les matériaux du chantier, dont l’aluminium, le fer, l’acier et la brique, ont été recyclés ou encore revendus pour être réemployés dans d’autres projets de construction. Un projet de déconstruction qui retiendra certainement notre attention en 2020 est celui du démantèlement du pont Champlain d’origine, un ouvrage de 3,4 km de longueur et de 6 voies de large. La société Les Ponts Jacques Cartier et Champlain Incorporée (PJCCI) estime que ce projet d’envergure, qui n’a pas de précédent dans l’histoire du Québec, s’échelonnera sur trois ans. Nathalie Lessard, directrice des communications de PJCCI, précise que le pont Champlain sera déconstruit avec un souci constant de minimiser l’empreinte écologique. « La société PJCCI mène l’ensemble de ses activités selon les grands principes de développement durable. Malgré les défis complexes de ce projet en termes de génie civil, de logistique et de gestion des matériaux, les travaux de déconstruction seront réalisés dans une perspective de développement durable et de protection de l’environnement. Le pont Champlain d’origine sera démantelé pièce par pièce pour limiter l’impact environnemental sur le fleuve et la biodiversité », explique Mme Lessard. La déconstruction pensée et structurée du pont Champlain générera quelque 250 000 tonnes de béton, 25 000 tonnes d’acier et 12 000 tonnes d’asphalte. Un programme de valorisation des matériaux est planifié en amont bien avant la première journée de déconstruction pour favoriser le réemploi. « Des artistes ou des particuliers qui souhaitent développer un projet auront la chance de donner une deuxième vie à certaines pièces. À titre d’exemple, des poutres ou morceaux d’acier pourraient devenir des oeuvres d’art ou du mobilier urbain. Nous sommes également en discussion avec des municipalités et des organisations publiques concernant la réutilisation d’importantes quantités de matériaux dans leurs futurs projets de construction. Les treillis modulaires pourraient être récupérés pour concevoir des passerelles piétonnières et cyclables ou encore le béton concassé pourrait servir de matériau de remblai », soutient Mme Lessard.
Choisir de déconstruire ou de démolir ?
Saviez-vous qu’avant 1930, la tendance au Québec était de déconstruire ? Mais tout cela a bien changé depuis les années 30, surtout avec l’apparition de la boule de démolition sur les chantiers de construction. Bien qu’elle détruise un édifice en un rien de temps, la boule de démolition ne permet pas de sauver grand-chose. Ce n’est que depuis les années 90 qu’on se questionne sur le gaspillage de résidus de construction causé par cette technique de démolition. Selon Louis-Philip Bolduc, directeur conception chez A+ Gestion de conception et construction, une entreprise qui propose un service d’accompagnement stratégique dans le développement de projets immobiliers, il s’avérait traditionnellement plus simple et rapide de démolir un bâtiment. « La question monétaire était aussi un argument qui avait son importance quand on considère le taux horaire d’une équipe de démolition.
Plus vite l’équipe réussissait à terminer et mieux le budget était en mesure d’être contrôlé », ajoute M. Bolduc. Est-ce que la déconstruction est nécessairement plus onéreuse que la démolition ? Il convient de dire que c’est du cas par cas, selon la complexité de l’opération de déconstruction. Prenons l’exemple du projet de déconstruction de l’ancien hippodrome de Montréal. Des dépenses supplémentaires relatives à la déconstruction, en raison du nombre plus élevé de travailleurs (les coûts de main-d’oeuvre estimés seraient de 5 à 6 fois plus élevés5) et à la durée du chantier plus longue, ont engendré un coût total supérieur pour ce projet par rapport à un chantier de démolition équivalent. Il est toutefois possible de réduire la facture de déconstruction grâce aux revenus générés par la récupération de matériaux pouvant être réutilisés ou recyclés. Dans le cas de l’ancien hippodrome, une quantité importante de matériaux récupérés, tels que l’asphalte, la brique et le béton concassés, a été revendue. Les revenus engendrés par la revente ont ainsi pu compenser les frais de main-d’oeuvre supplémentaires issus de la gestion et du tri des matériaux désassemblés. « Les choses changent depuis quelques années, ce qui permet de mieux considérer la déconstruction. Divers matériaux ont une valeur marchande de plus en plus intéressante et les coûts de transport ont substantiellement augmenté. Ces deux facteurs contribuent à rendre l’opération de déconstruction rentable dans un plus grand nombre de projets. Les donneurs d’ouvrage publics ont aussi mis en place des programmes qui avantagent fortement la déconstruction compte tenu des enjeux environnementaux importants inhérents à la démolition. Il ne faut pas oublier non plus la certification LEED qui, à titre de précurseur, a introduit la déconstruction et a permis de mettre en lumière les impacts positifs d’utiliser cette pratique », soutient Louis-Philip Bolduc. La valeur marchande varie, en effet, d’un rebut de construction à un autre. Il faut donc évaluer l’option la plus avantageuse entre le vendre pour le réintégrer sur le marché dans sa forme d’origine, le recycler ou l’enfouir. À noter que la hausse majeure du prix de l’enfouissement au Québec, au cours des dernières années, constitue un autre élément favorable à la déconstruction.
Donner ses matériaux de construction
Une autre façon d’offrir une deuxième vie aux débris de construction encore utiles est de les donner en échange d’un reçu de charité équivalent à la valeur marchande des dons matériels. En bénéficiant d’un reçu de charité, les donateurs peuvent profiter d’un crédit d’impôt (pour les particuliers) ou d’une déduction du revenu imposable (pour les entreprises). En comparant le montant du reçu versus les coûts de la déconstruction, on peut ainsi analyser si l’opération sera rentable ou non en fin de compte.
Architecture Sans Frontières Québec (ASFQ) propose justement cette solution à ses donateurs dans le cadre de Matériaux Sans Frontières, un programme de récupération de matériaux en cours de développement pour soutenir la mission et les projets de l’organisme, qui constitue le bras humanitaire de l’Ordre de architectes du Québec. Ce programme permettra aux particuliers, entrepreneurs en construction et autres professionnels du bâtiment, de se départir de manière économique et écologique, de certains matériaux de construction encore en bon état et de recevoir un reçu de charité fiscalement avantageux pour leur don. « Nous avons un donateur qui a récemment démantelé le plancher de bois franc et les portes de son triplex. Cette initiative a entraîné un surcoût d’environ 1 000 $. Grâce au modèle d’affaires de Matériaux Sans Frontières, il pourra toutefois bénéficier d’un reçu de charité d’environ 2 500 $. Il ressort donc gagnant en plus d’avoir appuyé un organisme humanitaire et posé un geste concret pour préserver l’environnement », explique Bruno Demers, directeur général d’ASFQ.
Force est de constater que la filière de la déconstruction et du réemploi des matériaux joue un rôle important en matière de développement durable. Aux États-Unis et en Europe, une expertise croissante existe pour développer une économie circulaire des matériaux de construction. Au Québec, il reste encore beaucoup de travail à accomplir. Pour voir réellement une filière de la déconstruction de bâtiments se déployer dans la Belle Province, les différents acteurs doivent se mobiliser, se donner une vision commune et aller chercher les ressources nécessaires, selon M. Demers. Des entreprises étrangères spécialisées sont prêtes à nous partager leurs expériences. Pour Bruno Demers, il est impératif de s’en inspirer et de ramener les meilleures pratiques et les dernières avancées chez nous. L’idée c’est de démontrer qu’on déconstruit pour mieux rebâtir !