«Photo © Maxime Lapostolle»

Voici les faits saillants du colloque «Architecture + Itinérance : Habiter la ville sans ancrage au logement» tenu le 22 novembre dernier à l’Agora du Coeur des Sciences de l’UQAM, à Tio’tia:ke/Montréal.

 

Le 22 novembre 2023, ASFQ organisait la deuxième édition du colloque Architecture + Itinérance, un espace de réflexion collectif et multidisciplinaire sur l’aménagement de la ville. En cette journée mondiale de l’habitation et de l’habitat, ASFQ a pris soin de souligner la gravité des impacts de la crise du logement au Canada, qui n’a connu aucune amélioration depuis la dernière édition de l’événement. À l’issue de cette journée, Architecture Sans Frontières Québec (ASFQ) réitère son plaidoyer en faveur d’une architecture de qualité pour tous et toutes. Que ce soit en matière de logement, de services ou d’espaces publics, nous cherchons à améliorer les pratiques d’aménagement en solidarité avec les personnes en situation d’itinérance. 

1- Apprendre des communautés autochtones pour aménager une ville bienveillante

Mona Belleau, Inuk d’Iqaluit et directrice principale du soutien aux communautés et de la sécurisation culturelle autochtone chez BC2,  a introduit la journée du colloque en insistant sur la résilience, la capacité d’adaptation et l’ingéniosité qui caractérisent les divers peuples autochtones. De nombreuses raisons poussent ceux-ci à devoir quitter leurs terres vers les milieux urbains, notamment les logements surpeuplés, le coût de la vie extrême, ainsi que le contexte violent issu des oppressions coloniales et de la sédentarisation forcée. 

Pour entamer une guérison collective, la conférencière insiste sur l’importance d’avoir des lieux adaptés aux cultures autochtones, des endroits d’entraide et de solidarité à l’abri du jugement. Le lien d’attachement entre les personnes qui partagent une même culture est primordial, comme celles-ci peuvent comprendre à la fois les valeurs, la langue, mais aussi les immenses défis d’adaptation aux milieux urbains.

La présentation de Mona est disponible ici. ASFQ vous invite également à vous informer en consultant les outils du Réseau de la communauté autochtone à Montréal. 


 

Les faits suivants sont tirés de propos discutés par nos panélistes Anna Kramer, Todd Ferry, David Chapman et Khaleel Seivwright, ainsi que Sophie Gagnon, Marie-Noëlle L’Espérance, Elio Choquette et Annie Rainville. 

2 – Prioriser la sécurité ontologique face aux campements urbains 

Des principes de sécurité (hygiène, incendies, violence, etc.) sont fréquemment utilisés comme raisons pour justifier les démantèlements. Si la sécurité était une préoccupation réelle, le résultat serait différent. En effet, les démantèlements mènent à des traumatismes importants et à une dispersion des personnes vers des endroits moins sécuritaires, reculés et isolés, où ils perdent les avantages d’être en communauté. Ainsi, il est important d’analyser la manière dont le concept de « sécurité » est défini. La « sécurité ontologique » est une façon de transformer la manière dont on en parle : baser cette sécurité sur la notion de stabilité et de constance que représentent les campements pour les personnes. 

3 – Contextualiser les campements dans un contexte politique plus large

L’acte d’avoir une tente, un abri, ou une maison dans l’espace public est une démonstration politique de la notion de sécurité dominante basée sur l’invisibilisation de la crise du logement. Sans adresser cette crise de manière systémique, en solidarité avec les campeurs et campeuses, nous sommes tous et toutes en situation d’insécurité. 

4 – Les villages de mini-maisons : une alternative à explorer avec prudence

Les «mini-maisons» (anglais : pods) sont nommés ainsi car ils échappent au code du bâtiment auquel est assujetti un logement typique. Quoique la profession architecturale puisse être tentée de conformer ces «mini-maisons» au code — cela rendrait l’implantation des villages beaucoup plus ardue, ce qui n’est pas nécessairement souhaitable. Il y a un danger de chercher une stratégie officielle et formelle. Ces aspects doivent être négociés de manière prudente et collective, avec les personnes qui occupent l’espace ou qui souhaitent y créer une communauté. Une façon de proposer des alternatives sans tomber dans la formalisation est, par exemple, de formuler des «lignes directrices» pour la conception des villages. 

Il y a beaucoup de terrains qui sont disponibles dans la ville, en attente d’un futur développement. Pourquoi ne pas y construire une infrastructure (eau, circulation, électricité, etc.) afin d’accommoder des communautés qui le veulent de manière transitoire? Cette vision permet d’aller chercher du financement et d’inscrire ces villages dans une logique pérenne. Construire des villages est également un geste politique — une question de prise de conscience de la part des citoyen.nes, des décideurs publics et des commerçant.es. Concevoir et exposer des prototypes ou des visuels de ces «mini-maisons» met les instances décisionnelles au défi. L’espace public peut être utilisé comme espace de rencontre et de sensibilisation.

5 – Les espaces publics, des espaces destinés aux personnes privilégiées

L’espace public est encore réservé à une élite, car certains usages sont considérés «bons» et d’autres «mauvais» ou «dérangeants». Les espaces publics sont de plus en plus normés, réglementés et programmés : chaque parcelle d’espace est destinée à une activité spécifique, ce qui laisse peu d’endroits pour l’habiter différemment. Ce qui est considéré comme normatif et sécuritaire exclut plusieurs groupes de personnes, comme les personnes racisées ou neuro-divergentes. Cette hostilité ne se manifeste pas seulement de manière visible et physique. L’accès aux lieux publics se fait de plus en plus difficile (ex: patrouille accrue dans le réseau de la STM, nouveaux règlements dans les bibliothèques, installations sanitaires désuettes, etc.). 

6 – Un manque de vision pour réimaginer l’espace public 

L’espace public, présentement sous-utilisé, est pourtant un lieu de rencontre et de rassemblement important. Au-delà d’un simple espace de transit, il est un lieu d’appartenance pour certaines personnes et communautés qui se connaissent, se reconnaissent. Pour Annie, qui a vécu 12 ans de manière intermittente dans la rue : “Pendant un moment, mon spot c’était une table à pique-nique. Ma table. Une table qui me donnait un sentiment d’intimité, de sécurité (pas d’attaques, pas d’insultes) et de paix. Un espace pour me déposer et mettre mes trucs en sécurité.” 

Plusieurs pistes de solutions sont proposées pour des espaces publics plus inclusifs. Premièrement, éviter d’inclure des aménagements hostiles ou de la réglementation urbaine discriminatoire dans les nouveaux projets. Ensuite, diversifier les aménagements, installer des points de services utiles pour tou.te.s et prévoir davantage d’espaces gratuits pour se reposer. Il faut également réfléchir à ces lieux en fonction de la temporalité : ces espaces devraient être accessibles 24h/7 (soirs et fin de semaines) et ouverts à l’année longue. Le message est clair : c’est la vision pour réimaginer l’espace public qui est manquante, car nous savons ce qu’il faut faire : allouer plus de subvention pour aménager ces espaces, s’inspirer de précédents innovants ailleurs dans le monde, mettre à profit l’infrastructure existante, co-créer avec les personnes concernées et effectuer un travail constant de sensibilisation et d’éducation auprès des citoyen.ne.s.

Merci à tou.te.s les participant.es de l’événement, qui ont également mis la main à la pâte pour deux ateliers multidisciplinaires. Les résultats de ceux-ci seront publiés prochainement – restez à l’affût! Les détails concernant notre exposition du mois de main prochain seront également publiées au cours du printemps. 

 

Pour accéder à l’album photo de l’événement : Colloque Architecture + Itinérance 2023


 

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